La sécurité en atelier

Photo par Maxime Proulx

Voici un article que j’ai écrit suite à la lecture du livre "The jewelry workshop safety report" de Charles Lewton-Brain. La sécurité dans le métier que j’exerce est très importante, car j’ai envie de faire de la joaillerie très longtemps et en santé! Il ne faut pas se le cacher, le domaine du bijou comporte plusieurs risques pour la santé si on ne porte pas attention. Voici les conseils que je suggère suite à la lecture du livre et à mon expérience personnel.

***Attention le texte qui suit n’est qu’à titre indicatif et est fait à partir du meilleur de mes connaissances et de mes lectures. Je ne suis pas responsable dans l’éventualité de tout accident relié à ce qui suit***

Les vêtements:

Premièrement, l’habillement n’est pas à négliger lorsque nous travaillons au banc. Voici les principales règles à respecter :

1) Porter des vêtements ajustés. Les foulards et les manches amples risqueraient de se prendre dans les outils rotatifs ou d’être brulés.

2) Préférer les matières naturelles aux synthétiques pour éviter les brûlures graves en cas de contact avec une flamme. Le synthétique fond sur la peau et peut causer des brûlures au troisième degré tandis que les fibres naturelles s’enflamment plus lentement et ne collent pas sur la peau.

3) Porter des souliers fermés pour éviter les brûlures si l’on échappe une pièce chaude ou une blessure suite à la chute d’un outil.

4) Les cheveux les filles (et les gars), on les attache! Au début, je les attachais très rarement quand je travaillais sous-prétexte que je les trouvais plus beau détachées. J’ai changé mes habitudes le jour ou un joaillier avec qui je travaillais m’a conté qu’une de ses anciennes employées avait perdu une mèche de cheveux à la lisière de son visage en polissant et qu’elle n’avait jamais repoussée!

5) Il est préférable de ne pas porter de bijoux accrochants ou de bagues à l’atelier parce que les machines que nous utilisons sont très puissantes et il y a certains risques que ceux-ci soit entraînés avec elles. Beaucoup trop de cas de ‘’dégantage ’’ ont été répertoriés dans les ateliers pour prendre la chance que ça nous arrive. (Dégantage : La partie cutanée et sous cutanée du doigt est séparée de la partie osseuse. On obtient donc d’une part la main avec l’os à vif et de l’autre les parties molles telles un doigt de gant coupé, d’où le nom de dégantage. L’ensemble du système vasculo-nerveux est arraché). De plus en travaillant au banc certains produits chimiques et poussières peuvent rester coincés sous une bague et causer de l’eczéma. L’humidité est aussi un facteur d’accroissement des démangeaisons dû à une irritation de la peau. Combien de fois nous lavons-nous les mains dans une journée à l’atelier? Il vaut mieux éviter tous les problèmes en laissant nos bagues à la maison ou en les enlevant pour certaines tâches.

6) Porter des lunettes de sécurité en tout temps et éviter les verres de contacts à l’atelier. Les produits que nous utilisons peuvent les faire fondre sur l’œil. Pour ceux et celles qui n’aiment pas le look des lunettes de sécurité, je propose de vous procurer (avec ou sans prescription) des lunettes à la mode pour travailler. Le site de ZenniOptical propose une gamme complète de lunettes à prix très raisonnables. La livraison est rapide et abordable également. Préférer les modèles de lunettes plus imposants pour plus de protection. Vous n’avez plus d’excuses pour ne pas en mettre après ça!

Photo par Andrée Anne Vien

Dans un atelier nous sommes exposés à toutes sortes d’irritants et produits chimiques, voici quelques conseils pour minimiser notre exposition.

La poussière

La poussière peut être dommageable pour les poumons à long terme. Notre œil est capable de percevoir seulement les particules de 50 à 100 microns tandis que les particules vraiment nocives qui se logent dans le creux que nos poumons mesurent de 5 à 10 microns, donc invisibles à l’œil nu. C’est pourquoi il est important d’utiliser une ventilation adéquate et d’avoir un bon aspirateur pour le polissage.

Certaines poussières qui nous semblent anodines peuvent être très nocives. Par exemple, certains essences de bois, les coquillages, l’abalone (extrêmement toxique), le nickel, la poussière de cuivre et les protéines animales ou insectes. Il faut toujours prendre plus de précautions quand nous utilisons des matières inconnues et utiliser un masque à particules et des gants.

Passez votre doigt sur une surface de l’atelier et regarder la couleur. Ça peut être un bon indice du type de poussières que vous produisez. Par exemple, la poussière grise (normale) est encore acceptable. La poussière blanche ou crème qui provient de vos activités contient des produits chimiques et la poussière noire est due à une mauvaise utilisation de votre système de soudure (pas assez de ventilation). Dans les deux derniers cas, il faut repenser aux systèmes d’évacuations des vapeurs toxiques.

La qualité du système d’aspiration lors du polissage entre aussi en jeu. J’ai déjà travaillé dans une bijouterie ou le polissage était fait avec de la pâte rouge. J’ai réalisé la piètre efficacité de l’aspiration le jour où j’ai passé la vadrouille mouillée pour laver le plancher. Au lieu de nettoyer, j’étendais à la grandeur de l’atelier la pâte à polir rouge qui était retombée par terre. Comme c’est une poussière très volatile, elle s’est retrouvée partout et était excessivement difficile à enlever. En plus d’être très salissante, la poussière de pâte à polir est nocive à long terme pour les poumons. Le tripoli par exemple contient de la silice (aussi nocive que l’amiante) qui peut causer des problèmes respiratoires très graves et de l’insuffisance rénale. C’est pourquoi nous devrions toujours l’utiliser avec une bonne ventilation et ne pas polir au banc avec le Foredom. De plus, il est important de bien nettoyer la pièce à l’ultrason si l’on doit la réchauffer, car la silice contenue dans la pâte devient encore plus nocive une fois brulée.

La plupart de nos abrasifs contiennent de la silice malheureusement. Nous ne pouvons y échapper mais nous pouvons minimiser notre exposition avec ces quelques précautions :

1) Toujours utiliser un aspirateur fonctionnel pour polir. Les modèles de polisseurs avec filtres intégrés ne sont pas des plus efficaces. Une fois les filtres remplis, ils n’aspirent presque plus et la poussière se propage dans l’atelier. Selon moi, une station de polissage efficace et sécuritaire contient un moteur de polisseuse fixé à une table basse qui est relié à un aspirateur puissant par en dessous. On ajoute ensuite une boîte métallique pour recueillir l’excès de pâte à polir (disponibles dans tous les magasins d’équipements de joaillerie: Sassounian, Unitec, Ultratools, etc). La hauteur de la polisseuse doit être ajusté à la personne et aussi permettre de polir en position assise, car celle-ci est la plus ergonomique et permet de polir pendant des heures sans avoir mal au dos ou se fatiguer.

2) Maximiser l’utilisation de la polisseuse en tout temps. Le meilleur truc que j’ai reçu dans ma vie est probablement celui-ci… Au lieu d’utiliser le cabron ou le barbu, je fais la finition de mes bagues et bien d’autres choses avec un rouleau de papier sablé fixé au mandrin de ma polisseuse. Il suffit de rouler une bande de papier sablé (j’utilise le papier 180 rouge vendu en lanière dans tous les magasins d’équipement de joaillerie) à la manière d’un barbu autour d’un petit mandrin comme une lime aiguille. On le fixe avec un élastique bien serré à une extrémité et on le visse au mandrin de la polisseuse. En plus d’économiser beaucoup de temps, je minimise mon exposition à la poussière de silice et de métal, je récupère les particules métalliques dans mon aspirateur ($$$) et je minimise aussi les risques de blessures comme les tendinites dues aux mouvements répétitifs. Toutes les étapes de polissage possibles devraient être faites à l’aide de la polisseuse pour aspirer le plus de matières que l’on peut.

3) Il est aussi préférable d’utiliser quelque chose d’humide pour nettoyer le plancher de l’atelier, car un balais fait remonter toutes les petites poussières et leur donne une deuxième chance de rentrer dans nos poumons.

Photo par Andrée Anne Vien

L’amiante

Comme on le sait tous, l’amiante est très nocif pour la santé, mais malheureusement est encore utilisé dans certains ateliers. Souvent il est mouillé et utilisé comme pâte pour protéger une pierre fragile. Même si la pâte est mouillée, lorsque nous chauffons la pièce avec le chalumeau, la vapeur qui en sort contient des infimes particules d’amiante qui sont rejetées dans l’air et qui vont dans nos poumons. Celles-ci se logent dans les bronches et y restent en permanence. Notre corps est capable d’évacuer certaines composantes que nous respirons, mais l’amiante et la silice sont 2 matières qui ne peuvent être évacuées et qui peuvent causer de graves problèmes de santé. L’amiante ne devrait jamais être utilisé dans un atelier, sous aucun prétexte, car même une petite quantité peut être très dangereuse. Celle-ci peut-être substitué facilement par la pâte «Vigor» par exemple qui offre une protection aussi efficace. Elle est plus collante et difficile à enlever, mais avec une brosse à dent douce sous l’eau on y arrive facilement. On peut même utiliser un mouchoir bien mouillé enroulé autour de la pièce pour protéger une pierre lorsque l’on chauffe pour une mise en grandeur par exemple.

Le son

Dans un atelier, nous sommes exposé à plusieurs dangers qui sont évidents mais d’autres sont plus subtils. Le bruit des machines peut à long terme causer des dommages à l’ouïe. Voici une charte en décibel pour mieux comparer la force des sons. Considérer comme point de référence que 90 décibels est 10 x plus fort que 80 décibels.

- Murmure : 30 décibels
- Conversation basse : 40 décibels
- Pluie modérée : 50 décibels
- Conversation normale : 60 décibels
- Rue achalandée : 70 décibels
- Foredom : 74 décibels
- Aspirateur : 75 décibels
- Bébé qui crie/ rasoir électrique : 80 décibels (Les dommage à l’ouïe commencent)
- Polisseuse : 80 décibels
- Ultrason : 80 décibels
- Mélangeur électrique, chien qui jappe : 90 décibels
- Outils électriques, scie à chaîne, meuleuse : 100 décibels
- « Shop Vac » : 108 décibels
- Martelage : 110 décibels
- Jet de sable (compresseur) : 110 décibels
- Machine à jet de vapeur : 116 décibels
- Music rock forte : 120 décibels
- Avion / Feu d’artifice : 130 décibels
- Coup de fusil de chasse : 140 décibels

Étant donné que plusieurs machines et techniques que nous utilisons dépassent les 80 décibels (début des dommages à l’ouïe), il faut se protéger ou aménager notre espace en fonction du bruit. Par exemple, les machines les plus bruyantes devraient être le plus loin possible de notre banc.

J’ai déjà travaillé dans une bijouterie où l’atelier était très petit et l’ultrason était directement à côté de mon banc. À force d’entendre la vibration à chaque jour, mon oreille était devenue vraiment sensible et le son m’était devenu insupportable tellement il me faisait mal à l’oreille. J’ai dû réaménager l’espace pour régler le problème. Je ne m’étais pas rendu compte que le son pouvait être dommageable, c’est seulement avec le temps que je me suis aperçu que mes oreilles étaient fragiles à ce son.

Le port de bouchons d’oreilles peut s’avérer nécessaire lors d’une séance de martelage. Considérant que chaque tranche de décibel est 10x supérieur à la précédente, et que les dommages à l’ouïe commencent à 80, on peut considérer que le martelage (110 décibels) est très dommageable.

Dermatite

Une dermatite (eczéma) est une condition qui est due à l’exposition prolongée de la peau à plusieurs produits chimiques et métaux. Les personnes avec des antécédents d’allergies, ou qui sont très stressés, sont plus sujets à en développer.
La liste est longue des produits à éviter mais voici quelques exemples : Détergents (savons à ultrason et baratte), acide, bases, solvants (acétone), abrasifs, flux, métaux, patine, vapeur de solution de placage, pâte à polir, cire à injection, époxy, résine, caoutchouc de moule (même une fois cuit ou sec), huile à machine, oxydent, alcool, savon et eau. Même certains bois, os, coquillages peuvent causer des irritations.

Bref, pas mal tout ce qui se trouve dans un atelier cause de l’eczéma! Depuis que fais de la joaillerie je n’ai jamais eu autant de problèmes avec mes mains. Par contre, sachant que tous ces produits sont à la source de mes problèmes, j’essaie de minimiser mes contacts avec ceux qui sont le plus irritants.

Par exemple :
– Utiliser toujours des pinces avec les bouts en caoutchouc pour prendre les bijoux que ce soit dans l’ultrason, dans la baratte, ou juste pour apporter une pièce avec du flux dans le déroché.

- Laver son banc avec une guenille humide régulièrement pour empêcher les dépôts de poussière, de métaux ou de flux. Le fait de s’accoter sur une surface sale peut accentuer les démangeaisons.

- J’utilise maintenant des petits gants de nitrile pour le polissage. (Disponibles chez Tenaquip)
La pâte à polir et le lavage de mes mains étaient probablement ce qui me donnait le plus d’eczéma. L’utilisation des gants protège mes mains pour qu’elles restent toujours propres. Par contre, n’utilisez JAMAIS de gant en cuir ou autres lors du polissage. Le gant peut prendre dans la machine et amener vos doigts cassés à s’enrouler autour du mandrin. Les gants de nitrile étant donné leur fragilité se déchirent aussitôt qu’ils prennent dans la brosse. Avec l’habitude, je peux polir de plus en plus longtemps avec la même paire sans la percer.

- Se laver les mains avec du savon doux pour l’eczéma. Je traîne mon savon (Cétaphil pour eczéma) partout où je travaille, car le savon rose et le savon à vaisselle assèchent les mains et sont bourrés d’agents irritants. C’est probablement l’eau et le savon qui causent le plus souvent les dermatites. Les savons et les dégraissants utilisés en joaillerie (savon à vaisselle, savon à baratte et à ultrason, dégraissant) ont tendance à dénaturer la peau en enlevant la couche de gras protectrice que nous avons.

- Utiliser une crème barrière en arrivant le matin à l’atelier. Celle-ci bouche les pores de la peau et empêche les produits d’y rentrer. Elles sont aussi imperméables à l’eau, donc on peut se laver les mains plus souvent sans perdre l’hydratation de nos mains. Pour ma part, j’utilise la crème ‘’Prévex’’ qui est en vente chez Jean Coutu. Sa texture est un peu désagréable au début, mais sèche très rapidement et procure une protection de quelques heures. J’en remets souvent une deuxième fois en après-midi.

Feu

Si jamais une personne prend en feu, il est préférable de l’éteindre avec une couverture à feu plutôt qu’un extincteur. Ce dernier contient des produits qui peuvent aggraver les brûlures. Dans le cas où il n’y a pas d’autres moyens de l’éteindre, vous devez apporter l’extincteur avec la victime à l’hôpital. Les infirmiers vont pouvoir administrer les bons soins en sachant les composantes de celui-ci sans endommager plus les blessures.

Ventilation

Beaucoup d’ateliers n’utilisent aucune ventilation ou se servent de 2 fenêtres opposées pour créer un courant d’air (dilution). Malheureusement cette méthode n’est pas assez efficace pour évacuer les vapeurs nocives. La meilleure solution est d’utiliser un système de ventilation qui est directement relié à notre station de soudure par exemple. Dans mon atelier, j’ai un gros tuyau (sécheuse) accroché à mon banc et qui est relié à un ventilateur qui tire les vapeurs à l’extérieur. Le tout est fixé à ma fenêtre à la manière d’un climatiseur. Il est primordial que votre système d’aspiration d’air ne soit pas derrière vous, car les vapeurs vont être aspirées vers vous. La règle d’or de la ventilation est que si l’on sent une odeur la ventilation n’est pas assez puissante.

Pour un système de ventilation adapté à vos besoins vous pouvez contacter E.B.S. Machinerie pour une soumission.
Si vous faites une activité qui nécessite des produits très forts, il est conseillé d’utiliser un masque à cartouches. Il faut utiliser le bon masque, car il peut être plus dangereux d’en utiliser un qui n’est pas adapté à nos besoins. J’utilise le mien lorsque je fais beaucoup de soudures. Le masque me permet de m’approcher de la pièce chauffée sans respirer les vapeurs toxiques qui se dégagent (en plus de ma ventilation). J’utilise maintenant le flux sans fluoride de la marque Dandix. Il est moins nocif pour la santé que les autres, mais nécessite quand même de prendre des précautions. Sa texture est légèrement différente du Handy flux, mais il fonctionne aussi bien. Sa consistance doit être crémeuse et à la fois légèrement sablonneuse.

On peut aussi substituer certains produits comme le déroché et le LYE par un ultrason. Pour dérocher une pièce, l’eau chaude et savonneuse de l’ultrason suffit pour faire fondre le flux. Cette méthode est très efficace, mais ne donne pas le fini blanc parfois voulu sur une pièce en argent. Pour remplacer le LYE (soude caustique pour nettoyer les bijoux), j’utilise l’ultrason également en laissant tremper les bijoux à nettoyer pendant au moins 1h sans la vibration. J’enlève ensuite l’excédent de saleté qui a ramolli avec mon jet de vapeur. Ainsi, j’évite de m’exposer à des vapeurs toxiques dégagé par ces deux produits.

Le mélange acide borique / méthanol utilisé pour empêcher l’oxydation lors d’une soudure d’or doit aussi être utilisé avec une bonne ventilation. La CSST donne une mise en garde face aux femmes enceintes qui travaillent au banc principalement à cause de ces produits. L’exposition lors de la grossesse peut causer des anomalies et des déformations du fœtus. Toute personne, enceinte ou non, doit prendre des précautions lorsqu’elle utilise ce mélange, car les vapeurs de méthanol enflammées sont toxiques. Il faut aussi redoubler de vigilance lorsque nous avons un pot avec ce liquide sur notre banc. L’idéal est d’avoir un pot avec une base large et stable qui est facile à ouvrir. Il faut toujours refermer le couvercle avant de souder pour éviter de répandre le liquide qui est extrêmement inflammable.

Photo par Andrée Anne Vien

Finalement, être préventif est la meilleure attitude à adopter pour éviter les blessures et les accidents reliés au métier de joaillier. Les conseils énumérés ci-haut donnent un aperçu des risques auxquels nous faisons face. Il ne faut pas en avoir peur mais plutôt être conscient qu’ils existent et faire du mieux que nous pouvons pour travailler de manière sécuritaire.

Par Maxime Proulx



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