Career / Marion Anais Forand

Voici Marion, qui est Française, qui vit à New York et qui est créatrice d’accessoires chez Jason Wu. Je la connais depuis quelques années et elle a vraiment une carrière et une façon d’avancer passionnante. Je me suis dit que ça vous intéresserait d’en savoir un peu plus sur ce métier de rêve…

Où est-ce que tu as grandi ?
A la campagne, dans la Drôme, dans le sud de la France.
Mon père vit dans une église millénaire. C’est très spécial, le jardin fait très vieux siècle et l’atmosphère est très hippie.

Petite, qu’est-ce que tu rêvais de faire plus tard ?
Devenir créatrice de mode.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’attirait dans la mode ?
J’avais quatre ans et quand je m’ennuyais, ma mère me donnait une feuille et un crayon en me disant : « Tu n’as qu’à dessiner quelque chose, n’importe quoi, ce qui te passe par la tête. Quand tu ne sais pas quoi faire, dessine ou écris quelque chose. » Elle me disait toujours que si je ne savais pas quoi faire plus tard, il fallait que je sois créative, que je n’attende pas qu’on vienne me chercher, que je provoque moi-même ma chance. En plus, on n’avait pas beaucoup de vêtements, du coup, on en créait. On dessinait un imprimé et ma mère me créait la jupe que je voulais.

Quand on a un rêve, on peut l’oublier pendant 10 ans, mais je pense qu’il finit toujours par refaire surface. Je ne sais pas comment, mais il revient. Parfois, j’ai l’impression que je crée quelque chose qui ressemble à un dessin animé. Tout est une histoire de volume, de séduction. Et c’est pour ça que j’adore l’animation : on ne tombe pas amoureux de l’histoire, mais de son côté artistique. Donc oui, je voulais devenir illustratrice pour Walt Disney ou créatrice de mode, et je l’ai toujours dit. Je n’ai jamais changé d’avis.

Tu as fait des études de mode ?
J’ai fait l’ESMA (Ecole Supérieure des Métiers Artistiques) pendant deux ans, et la troisième année, c’était à Paris, il fallait se spécialiser, j’ai choisi couture et modélisme, donc je sais aussi faire des vêtements. Je n’avais jamais envisagé de créer des accessoires.

Le truc marrant, c’est que je viens de Romans, dans la Drôme, une ville qui est réputée pour son artisanat de la chaussure. J’y allais quand j’étais petite, j’étais obsédée par les chaussures, c’est quelque chose que j’avais complètement oublié.

Elle me disait toujours que si je ne savais pas quoi faire plus tard, il fallait que je sois créative, que je n’attende pas qu’on vienne me chercher, que je provoque moi-même ma chance. En plus, on n’avait pas beaucoup de vêtements, du coup, on en créait.

Et après l’ESMA ?
Je suis sortie de l’ESMA à 21 ans. En France, c’est l’âge où il faut commencer à chercher du travail, mais franchement, qui veut embaucher quelqu’un d’aussi jeune ? En gros, on a une petite idée de ce qu’on veut, mais on n’est pas encore très sûr, on n’a pas encore un gout affirmé, c’est vraiment dur de se connaître à 21 ans. C’était il y a 10 ans, et l’utilisation d’Internet n’était pas encore généralisée. J’achetais plein de magazines. Maintenant, j’ai l’impression que la mode est plus accessible, alors qu’avant c’était plus difficile. C’était un univers de luxe, plus proche du rêve. C’était différent.

J’ai senti qu’il fallait que j’aille plus loin dans mes études donc je suis retournée à la fac, j’ai fait un master en marketing et business development. Ensuite, j’ai eu quelques expériences professionnelles. J’adorais Yves Saint Laurent, surtout Stefano Pilati, je trouvais qu’il faisait un boulot génial… ses robes, ses coupes étaient incroyables. Ils cherchaient une stagiaire, et j’ai été embauchée comme assistante accessoires. Au début, je trouvais ça bizarre de passer mes journées à dessiner des chaussures, et puis un jour, je me suis mise à adorer ça.

Qu’est-ce qui t’a plu ? Quel a été le déclic ?
Le jour où j’ai compris que tout était question d’architecture et pas seulement de technique. Il y a des contraintes, bien sûr, on ne peut pas faire tout ce qu’on veut avec les chaussures, mais on peut toujours trouver un rendu un peu inattendu. L’année dernière, quand j’ai créé les chaussures de Calvin Klein Collection, il y avait un modèle à base de billes de caoutchouc, toute la semelle était souple. Pourtant, il y avait 11 cm de talon, mais avec une semelle souple. En fait, il y avait plusieurs couches superposées, dont une qui était souple.

Pendant tes études, les chaussures, c’est un sujet sur lequel tu t’étais penchée ?
Jamais !

C’est dingue, parce que j’ai l’impression que c’est quelque chose d’hyper technique !
Je suis allée à la bibliothèque cinq jours avant mon entretien chez Yves Saint Laurent, pour réviser les techniques de fabrication. Finalement, on n’a pas du tout parlé de ça, mais je me sentais capable de comprendre ce travail.
Il faut pas mal de temps avant de se sentir vraiment à l’aise quand on dessine des chaussures, pour être sûre qu’on aura pas l’air idiote quand on arrive à l’usine, où il y a plein de gens qui sont hyper techniques et qui maîtrisent leur sujet. On ne peut pas y aller sans savoir de quoi on parle. Quand on va en Italie, on rencontre des gens authentiques, et les véritables artistes, ce sont eux.

Pour ton premier boulot chez Saint Laurent, tu connaissais quelqu’un là-bas ou tu as juste postulé ?
Il y avait un site de mode qui répertoriait des offres d’emploi, pas pour des gros postes, juste des boîtes qui cherchaient des stagiaires. Moi, j’étais un peu naïve, mais je pensais être la seule à postuler pour ce job, alors qu’en fait on était hyper nombreux, parce tout le monde veut bosser pour Saint Laurent. Je suis super contente d’avoir eu cette opportunité.

Qu’est-ce que tu as appris chez Saint Laurent ?
Le point positif, c’est que là-bas, j’ai travaillé avec deux personnes très différentes. Francesco Russo est quelqu’un de génial, il est super créatif et fait des croquis ultra-précis. Quand il envoie son croquis, il n’y a rien à ajouter dessus, tout est déjà parfait. Il m’a demandé de dessiner exactement comme lui pour que personne ne sache que c’est moi qui faisais les croquis. Idem pour le reste de l’équipe, ils dessinaient tous super bien. Je sais que mes croquis sont vraiment bons, parce que j’ai fait mes classes avec l’un des plus doués.

Ensuite, j’ai travaillé avec Alain Tondowski qui a une approche très architecturale, des constructions toujours très bien pensées sur lesquelles il passait beaucoup de temps. Tout est une question d’équilibre. Ensuite, à l’usine, il surveille tout, le moindre petit détail.

Et ensuite ? Comment as-tu atterri à New York ?
Comme j’adorais New York, j’ai envoyé mon C.V. à Proenza Schouler à la suite du défilé avec la collection inspirée par les poissons. En la voyant, je m’étais dit : « C’est vraiment génial. C’est amusant, frais et nouveau. » J’ai d’abord rencontré Darren Spaziani, le directeur de la création des accessoires à l’époque. Quelqu’un de génial, qui déborde d’imagination et qui m’a dit : « Bon, je cherche quelqu’un pour travailler avec moi à la création des sacs, des chaussures et des bijoux, je veux une collaboratrice, quelqu’un qui m’aide à construire quelque chose ». Parce que quand ils ont sorti le PS1, ça a vraiment été un phénomène.

Donc je me suis retrouvée à bosser sur les sacs, avec ce type génial. C’était vraiment une super époque, la marque commençait à se développer, c’était comme une famille, tout se passait bien. C’est tellement différent de Paris, il n’y a pas de règles. Du jour au lendemain, on te demande si tu as envie de travailler sur les bijoux, et hop, c’est parti ! A Paris, ça ne se passe jamais comme ça. Je connais quelqu’un qui crée des foulards pour une marque de luxe et il ne peut rien faire d’autre parce qu’il est catalogué créateur de foulards… alors qu’il sait aussi créer plein d’autres choses ! Ici, j’ai senti que si on avait des idées, on pouvait les exprimer.

Je suis restée pendant trois ans et demi et ensuite, Calvin Klein Collection m’a fait une super proposition pour que je vienne créer des chaussures avec Francisco Costa. C’était le changement idéal, j’étais vraiment emballée. J’ai dessiné les chaussures pour le défilé du 10ème anniversaire de la marque, l’année dernière.

Ensuite, Jason Wu m’a demandé si je voulais venir créer les sacs et les chaussures de la marque. Cette boîte, c’était vraiment comme une famille. Donc voilà où j’en suis.

Quel est l’intitulé exact de ton poste ?
Je suis créatrice des accessoires. Je travaille avec Jason et Marie Charensol, la directrice de la création du prêt-à-porter. C’est vraiment chouette d’être sûre que les sacs iront bien avec les chaussures parce que les deux sont liés.

Combien de personnes y a-t-il en moyenne dans une équipe de création d’accessoires ?
Chez Saint Laurent, il y avait deux personnes pour les chaussures hommes, deux autres pour les femmes. Chez Proenza, Darren et moi, on s’occupait de tout et j’avais un assistant. Chez Calvin Collection, il n’y avait que moi et mon assistante.

Quelle relation de travail y a-t-il entre ceux qui font les accessoires et ceux qui créent les vêtements ?
Ça varie beaucoup d’une marque à l’autre. Chez Saint Laurent, c’est comme chez Calvin : dans les grosses boîtes, on n’est pas au même étage. Il y avait des réunions avec Stefano ou Francisco, qui nous donnaient une idée générale du thème du défilé, mais c’est un peu plus cloisonné, on travaille dans son coin, les marques ont déjà une identité très forte…on sait qu’on fait une bonne collection Calvin Klein quand on connaît l’image de la marque, quand on n’a pas besoin de définir la femme CK, on la connaît déjà. C’est plus un message qu’on fait passer, on utilise les codes de la maison, et en général on dessine à l’aveugle… quelqu’un va valider tout ça, mais nous, on ne connaît pas le rendu de la collection à l’avance.

Quand on va en Italie, on rencontre des gens authentiques, et les véritables artistes, ce sont eux.

Pour les marques à taille plus humaine, c’est vraiment différent ?
Oui ! Jack and Lazaro (les créateurs de Proenza Schouler) regardaient les croquis, ça leur donnait une idée de ce qu’ils voulaient, puis Jack disait : « Ça, ça me parle, ça me plaît » et on en discutait tous ensemble. C’était un dialogue ouvert.

En général, avec les grosses marques, on ne sait pas ce qui se passe, ce n’est pas facile. C’est très difficile, parce qu’on a une idée générale de ce qu’on a envie de faire, les gens nous donnent des infos, mais elles arrivent toujours trop tard, donc c’est un peu compliqué.

Qu’est-ce qui vient en premier ? D’abord les vêtements puis les accessoires ou est-ce que tout se crée en parallèle?
Non. Pour les chaussures, il y a des délais précis, il faut du temps pour faire le moule, la forme, et enfin le talon, c’est moins long, mais on doit d’abord faire l’intégralité des pièces de la chaussure en plastique. Pour le talon, il y a tout un processus, ce n’est pas le même timing. Donc en gros, on ne peut pas trop modifier le design de la chaussure.

C’est la même chose pour les sacs ?
Pour les sacs, la contrainte, c’est le cuir, mais on peut faire des modifications sur un sac jusqu’à deux semaines avant un défilé. Pour les chaussures, si par exemple on veut raccourcir un talon de 11 cm à 7,5 cm trois semaines avant le défilé, c’est très compliqué. C’est possible, mais c’est compliqué.

Les accessoires peuvent constituer une part importante du chiffre d’affaires d’une marque, parce qu’il est beaucoup plus facile de vendre un sac ou une paire de chaussures qu’une robe ou un chemisier… donc quand tu crées un sac, tu penses aux chiffres des ventes et à ce qui se vendra ?
Oui. En gros, je pense à un sac pour les pré-collections, un sac un peu plus classique, alors que les sacs de défilé sont pour les défilés. Mais cette saison, j’ai travaillé sur le sac Diane et le sac Charlotte. Un sac simple et facile à porter, donc en gros, je fais un sac pour le défilé et un sac plus universel.

C’est pareil pour les chaussures ?
Non, c’est différent, ça dépend de la marque. Le mieux, c’est par exemple une marque comme Saint Laurent où il y a plusieurs lignes. Tout est très organisé, et les chaussures se vendent toutes très bien. Pour les plus petites marques, si on opte pour des chaussures au look trop pointu, ça peut être risqué. Si on veut vendre des chaussures, c’est un créneau tellement spécifique qu’il faut faire des compromis sur le style. C’est vraiment très difficile de vendre des chaussures super lookées.

Tu as l’impression que tu peux quand même exprimer ta créativité sans souffrir des contraintes imposées par la nécessité de vendre ou de coller avec une collection ?
Oui, je crois. Enfin, ça dépend. Il y a cinq ans, j’étais un peu déçue parce que j’avais l’impression que j’avais atteint les limites de ma créativité, mais ces dernières années, les gens sont plus minimalistes, tout le monde veut du minimalisme, donc j’ai l’impression, surtout pour les chaussures, qu’on n’a pas besoin d’en faire des tonnes et que ça se vend quand même, ce qui est bien.

En plus des croquis et du design, qu’est-ce que tu fais ? Est-ce que tu peux nous parler de la partie production de ton boulot et de ce que c’est exactement, d’être designer d’accessoires ?
Prenons par exemple un sac pour une collection, un sac intemporel… une fois qu’on l’a créé, il faut aussi penser à son aspect pratique. Si le sac est trop volumineux, il n’ira qu’aux grandes, parce que les filles plus menues ne vont pas vers les gros sacs.

Il faut penser à tous ces détails avant la phase de production. Le poids du sac, son prix, les détails métalliques, la résistance du daim ou du cuir, les couleurs, il faut tester le cuir, essayer tous les sacs, les porter. Il faut savoir si le sac va se déformer ou s’il restera rigide. Si on veut quelque chose de très rigide, d’aspect presque vintage, c’est plus long, parce qu’une fois que le sac est prêt, il faut continuer à travailler dessus. Il faut garder le sac pendant six mois pour voir comment il résiste au quotidien. Parfois, il peut y avoir un sac qui me plaît, mais je m’aperçois que tous les détails métalliques me dérangent quand je marche… ils se prennent dans ma veste, ce genre de choses.

Pour les chaussures, si on travaille avec une bonne usine, en général, elles durent, il faut juste s’assurer qu’elles sont confortables. Après, le design, ça reste le design.

Comment est-ce que vous testez tous les produits ?
Pour tester un sac, il n’y a qu’une seule solution, il faut l’utiliser ! Donc j’utilise les sacs sans essayer de les ménager. Au bout de quelques semaines, je sais s’il faut qu’on change de cuir ou s’il y a des soucis techniques qu’on n’avait pas anticipés.

Les chaussures, en général, on les teste avec un mannequin chaussure. Au bout de 10 minutes, on sait s’il y a problème.

Tu te rends souvent dans les usines ? Comment est-ce que tu travailles avec la production ?
Avant j’allais dans nos usines en Italie tous les mois, mais ça dépend. Il y a des saisons où je me déplace plus que d’autres, par exemple si la conception d’un sac est complexe, il faut aller à l’usine, discuter, essayer plusieurs solutions différentes.

Qu’est-ce que tu fais exactement, quand tu vas dans une usine ?
Pour les chaussures, j’y vais d’abord pour faire les nouvelles formes : je me rends dans l’usine qui fait les formes avec des croquis très détaillés. Pour concevoir des chaussures, il faut vraiment être d’une précision maladive : un millimètre de différence, ça peut tout changer visuellement et au niveau du confort !

Ensuite, je travaille avec les techniciens à la conception de la chaussure elle-même. C’est comme une sculpture, on sculpte la forme en lui donnant le volume qu’on veut. Pour le talon, c’est le même procédé : j’apporte des croquis très précis, et ensuite, on « sculpte » le talon avec les techniciens.

Les deux déplacements suivants, c’est pour voir les prototypes aux pieds d’un mannequin et je rectifie la ligne des chaussures pour qu’elle soit fidèle à ce que j’ai en tête. Et s’il y a un souci technique - une couture qui fait mal aux pieds, une bride un peu trop lâche -, je le résous avec les techniciens.

Je passe aussi en revue tous les matériaux que j’ai commandés pour vérifier que les couleurs et l’épaisseur du cuir correspondent à l’utilisation que je vais en faire.

Pour les sacs et les ceintures, je vais en Italie pour faire des modifications sur les prototypes. Je me préoccupe beaucoup des lignes (visuellement, ça doit attirer l’œil) et de l’aspect pratique – Est-ce que c’est trop gros ? Est-ce que la courroie est de la bonne longueur ? Le sac est-il trop lourd ? Est-ce qu’il faut rajouter une poche ? Je me penche aussi sur la structure et la tenue du cuir. Et je revérifie les matériaux.

Pourquoi est-ce que vous travaillez avec des usines italiennes ?
En Italie, il y a vraiment des usines fantastiques, avec des artisans et des techniciens passionnés.
Il y un savoir-faire millénaire que les gens se transmettent de génération en génération.
Dans notre société de consommation, je trouve qu’il est important de préserver ce genre de trésor. Quand on achète un accessoire de luxe, que ce soit un sac, des chaussures, une ceinture ou des gants qui sont faits en Italie, on sait qu’ils ont été fabriqués avec soin par des gens qui font tout pour créer une pièce unique.

Tes croquis sont-ils très différents du produit final ?
Non.

C’est pour ça que la précision des croquis est aussi importante ?
Avec un croquis technique, on arrive toujours à ses fins. C’est pareil pour le prêt-à-porter, il faut toujours prendre en compte la façon dont une pièce sera fabriquée.

Comment est-ce qu’on rend des chaussures confortables ?
Il y a certains endroits où on sait qu’il ne faut mettre aucune couture ou découpe parce que ça fera mal aux pieds. Il y a aussi certains cuirs qui sont délicats à utiliser parce qu’ils sont trop rigides.

Il y a aussi quelques mesures à avoir en tête, comme par exemple quand on fait une chaussure à bout pointu : sans être trop étroite, elle doit rester intéressante visuellement.

Les techniciens peuvent aussi me faire part de leurs préoccupations.

Je trouve personnellement que ce n’est pas vraiment la hauteur de la chaussure qui compte, tant que la cambrure est bien faite, ce qui dépend de l’usine. Mais pour moi, 11, 5 cm (pour la forme, pas le talon), c’est le maximum.

Combien de temps à l’avance est-ce qu’on commence à travailler sur une collection ?
Quatre mois avant.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Ça dépend. En général, les gens sont inspirés par l’art : ils voient un tableau et ça leur fait penser à telle ou telle chose… mais ça, c’est plus pour la petite étincelle de départ, pour le défilé.

Pour les sacs, je pense à quelque chose que j’adorerais avoir et qui me manque. Ça peut aussi être la quête de la bandoulière parfaite et sur laquelle je vais travailler comme sur un puzzle. Parfois, je vais plus m’intéresser à la fonction du sac : ce sera tel type de sac pour telle type de fille. Parfois, c’est un peu plus terre à terre, avec les sacs, il faut rester concret. Avec les chaussures, on peut être dans un monde imaginaire. Avec les sacs, on sait qui est la cliente et qui est l’égérie, la muse.

Et les bijoux ?
J’ai fait des bijoux chez Proenza, la saison où ils ont utilisé des cordages. Ils voulaient des bijoux pour le look book, pas pour les vendre, juste pour étoffer les looks. Et donc, à la main, j’ai fait un truc super artisanal avec des perles et des pierres. Je leur ai montré, ça leur a plu et ils ont décidé de l’utiliser.

Comment produit-on ce genre de choses en série ?
Il faut énormément de temps pour fabriquer des choses qui ont l’air artisanales mais qui sont aussi mettables. Cette saison, pour Jason, on a fait des bijoux en laiton, donc quelque chose de moins artisanal. J’ai fait mes croquis, je suis partie à l’usine et je leur ai montré exactement ce que je voulais. On avait très peu de temps. Et pour l’inspiration, tout vient du sac.

Est-ce que tu suis les tendances avec attention et comment est-ce que tu sais quand il y a une tendance qui prend le dessus ?
Oui, il y a des tendances pour les sacs. Mon amie Floriana, créatrice des sacs Mansur Gavriel, m’avait parlé des sacs seau il y a très longtemps. Résultat, elle a lancé sa ligne, et maintenant, tout le monde propose des sacs seau. Il y a aussi eu le sac Trapèze de Céline qu’on retrouve un peu partout maintenant. J’essaie de ne pas suivre ces tendances, de faire le contraire, donc si la tendance est aux sacs seau ou aux cabas en cuir souple, j’ai envie de faire tout sauf ça.

Une journée-type ?
Le matin, je le consacre aux échanges d’e-mails avec l’Italie, à cause du décalage horaire. Ensuite, j’essaie de me réserver une heure pour regarder tranquillement différents produits et consulter quelques blogs… on trouve toujours plein de trucs sympas sur Internet, tout ce dont on parle. Je regarde des sacs, ou sinon j’essaie d’aller au musée ou de voir un film mais j’aime bien rester concentrée sur une seule chose. Aujourd’hui, ce sera les sacs, demain, les bijoux et les chaussures. Je déteste papillonner d’un truc à l’autre, ça m’embrouille.

Tu passes le reste de ta journée à faire des croquis ?
Oui.

Qu’est-ce que tu préfères dans ton travail de designer ?
Cette intuition, quand on vient de finir un croquis, de savoir qu’on tient un truc. Le moment où on a un déclic. On s’arrête et on se dit : « Là, je sais que ça va marcher. » Il y a peut-être 20 sacs, mais on sait que c’est celui-là qu’on veut. C’est mon moment préféré.

Il y aura toujours des chaussures, des sacs, et tant qu’on est content de son travail, il ne faut pas trop se prendre la tête.

Et ce qui est le plus difficile?
Quand ça ne marche pas, que la magie n’opère pas. Le pire, c’est quand on fait un croquis et qu’on se dit : « Tiens, ça me rappelle quelque chose » ou que le lendemain, on voit le même sac dans la rue. Je ne suis pas non plus trop fan des défilés.

Le meilleur conseil qu’on t’ait donné ?
Des choses que ma mère me dit. Quand on travaille dans la mode, parfois, on perd le sens des réalités, on panique pour des trucs idiots. Parfois, je me réveille à 4 h du matin parce que je stresse pour des coutures. Ma mère me dit toujours : « Ne le prends pas mal, mais c’est juste des chaussures. » Donc ce serait d’essayer de prendre du recul. Il y aura toujours des chaussures, des sacs, et tant qu’on est content de son travail, il ne faut pas trop se prendre la tête.

Qu’est-ce que tu recherches comme qualités chez un assistant ?
Quelqu’un d’agréable, qui sache anticiper. C’est difficile de trouver quelqu’un qui est à la fois professionnel et qui arrive à anticiper les problèmes. Je cherche surtout ça, quelqu’un qui travaille dans les temps, qui a de l’imagination et qui prend le temps de l’exprimer.

Tes conseils à un jeune aspirant créateur ?
Travailler dur quand on est jeune, parce qu’ensuite, on peut vraiment s’amuser. Mais il faut bosser sans attendre de compliments. Essayer de trouver la bonne méthode de travail. Pour faire un bon sac, on peut faire quatre prototypes, ou un seul. Quand on est clair et qu’on explique les choses de façon limpide, on est un bon manager. Il faut travailler sa façon de communiquer les idées. En fait, c’est avant tout savoir exprimer et faire passer son enthousiasme.

Le salaire moyen quand on travaille dans l’équipe de création ?
On peut gagner beaucoup d’argent. Mais quand on débute, pendant cinq ans, on n’a rien. Mais une fois qu’on a réussi, on gagne très bien sa vie. Il faut vraiment avoir fait ses preuves.

Tes rêves professionnels pour l’avenir ?
Je crois que je suis contente de travailler avec une équipe sympa et de trouver mon travail passionnant tous les jours. J’ai juste envie de continuer comme ça avec Marie, ça me plaît beaucoup. Je ne crois pas aux horaires de dingue. Franchement, ce n’est pas en travaillant 10 heures par jour qu’on obtient un meilleur résultat. J’aime bien venir travailler et faire mon boulot, simplement.

Est-ce que tu rêves parfois d’avoir ta propre marque ou est-ce que tu es contente de travailler pour d’autres marques ?
Franchement, en théorie, ça a l’air génial, mais quand on monte sa boîte, on devient complètement obsédé par les chiffres. Donc, non, ce ne sera pas pour tout de suite.

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